Choc ! Suchard fait sa pub @MAHN


Le MAHN a ouvert ses portes sur une nouvelle exposition consacrée à l’entreprise Suchard, qui met en valeur la riche collection d’affiches publicitaires reçue par l’institution lors de la fermeture du site neuchâtelois en 1996. Une première campagne décanale d’inventaire et de restauration avait débouché en 2009 sur l’exposition « Le monde selon Suchard », qui mettait à l’honneur l’expansion internationale de l’entreprise neuchâteloise à travers plus de 300 objets et images. « Choc ! Suchard fait sa pub » marque l’aboutissement d’une deuxième décennie de travaux d’inventaire qui ont révélé la qualité exceptionnelle d’un fonds d’affiches conservées de plus de 500 pièces, dont certaines de très grand format.

L’exposition offre un regard sur 170 ans de publicité chocolatière, des premières affiches datant des années 1860 aux spots publicitaires de la deuxième moitié du XXe siècle. La première salle présente  les différents supports publicitaires qui ont précédé et accompagné l’essor de l’affiche illustrée : cartons imprimés peuplant les vitrines de magasin, tasses en porcelaine à l’effigie de Philippe et Rose-Frédérique Suchard, clichés typographiques destinés aux annonces dans la presse, le visiteur pourra découvrir les différents visages de la publicité au 19ème siècle. Le point fort de cette première partie se trouve dans la présentation d’une presse lithographique, accompagnée d’une explication fort bien faite des différentes étapes du processus d’impression : à l’origine de l’essor des affiches illustrées et artistiques qui ont marqué l’espace urbain et les mentalités de la fin du 19ème siècle, le procédé complexe d’impression lithographique et ses exigences techniques tant du point de vue de l’outil que de la réalisation graphique mérite en effet une place d’honneur. Le visiteur pourra prendre toute l’ampleur du potentiel de cette technique en entrant dans la seconde salle : c’est là que se trouve à mes yeux le véritable trésor de l’exposition.

Si les salles suivantes ont l’intérêt de présenter différents aspects de la publicité Suchard dans le courant du 20ème siècle, des projets de concours organisés par Willy Russ dans les années 1920, aux affiches photographiques prenant le relai dans les années 1960, en passant par la saga de la vache Milka, la deuxième salle constitue pourtant le véritable événement : les hauts murs du MAHN sont ici tapissés par une demi-douzaine d’affiches chromolithographiques de plusieurs mètres. Composées de plusieurs feuilles, la proposition de Jean d’Ylen de 1927 culmine à quatre mètres, tandis que la magnifique affiche de John Hassall de 1900 destinée au public britannique s’élève sur trois mètres. Deux bancs verts placés au centre de l’espace permettent aux aficionados de contempler ces très rares exemples d’affiches grand format, soigneusement restaurées pour l’occasion. La deuxième proposition de cette salle est tout aussi intéressante : étayer par l’image la transformation du langage visuel de l’affiche publicitaire qui prend place au tournant du 20ème siècle. Des affiches informatives dominées par le texte, on passe aux splendeurs de la couleur et de la composition simplifiée. Car le tournant du siècle est marqué par des réflexions intenses sur le fonctionnement de la publicité dans l’espace urbain toujours plus saturé et du mode de vie toujours plus rapides des citadins, et c’est à cette époque charnière que se formule la conception de la publicité moderne, dont nous sommes au début du XXIe siècle toujours les héritiers : frapper fort, et frapper vite. Le texte laisse donc la place à une forme simple, lisible et percutante : l’idée n’est plus d’informer le client potentiel, mais de le charmer.

À cet égard, la proposition de 1909 attribuée à Leonetto Cappiello, Cacao Suchard, est révélatrice de cette nouvelle conception du langage publicitaire : sur un fond sombre se détache la figure d’une petite fille vêtue de rouge, hissée sur la pointe des pieds, et portant à ses lèvres une tasse disproportionnée qu’elle tient au-dessus de sa tête. Le texte est réduit à l’essentiel : « Déjeûner par excellence. Cacao Suchard ». Dépouillée de tout détail inutile, jouant sur l’association de couleurs vives et la simplicité d’une forme toute en verticalité, l’affiche attrape le regard et délivre son message de manière instantanée – on est loin alors des affiches-textes qui demandent au curieux d’investir le temps de la lecture, et qui ne peuvent ainsi toucher qu’une portion infime des passants pressés.

Aux amoureux de la lithographie comme aux néophytes, l’exposition propose un parcours enrichissant sur l’histoire de la publicité de Suchard, dont l’intérêt repose également dans l’illustration d’un phénomène de société qui dépasse le cadre d’une entreprise particulière : le développement de la publicité comme on la connaît encore aujourd’hui, de la visée symbolique de la constitution d’une identité par l’image et de la fonction-clé de ses jeux d’association.

Vinciane Vuilleumier


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